Le feuilleton
Ils évoquèrent d'autres accidents dramatiques, comme celui d'un carrier écrasé par une plaque du ciel ou un autre sur qui le banc de pierre se referma « en portefeuille ». « Et quand je pense que l'ingénieur des mines n'avait rien trouvé de mieux que d'écrire dans son rapport qu'il n'avait peut-être pas pris autant de précautions qu'on devrait le faire en pareil cas ; mais s'il a été imprudent, il a été cruellement puni de son imprudence ! » Rien qu'à évoquer ça, on sentait dans l'accent italien d'Ernesto que le temps n'y avait rien changé, la colère était intacte.
Puis grand-père sortit un vieux cahier à couverture du Conquérant. « Quand j'étais mousse, j'y notais, le soir, à l'encre violette, ce que j'avais appris dans la journée. Tiens, je te le donne ! » et il me tendit le cahier. « En plus on a le même prénom, alors… » J'étais intimidé, je le pris avec précaution. Un tableau récapitulait les outils en fonction de la qualité de la pierre : tendre, ferme ou dure. Il avait écrit le nom et dessiné chaque outil au crayon avant de le repasser à l'encre.
Le premier de la liste était le têtu, un curieux outil à deux têtes : une en forme de pic et l'autre de marteau. Souvent on attaquait le moellon avec le têtu mais on passait vite au taillant. C'était un outil à deux tranchants qui permettait de dégrossir le bloc et d'enlever des épaisseurs en excédent. Il y en avait de plusieurs sortes : la laye à deux tranchants droits qui donnait une surface lisse, le rustique à dents plates qui donnait un aspect rayé au parement. « Par exemple, les chemins de fer ou la fluviale ne veulent que du rustiqué » commenta grand-père, « et c'est aussi ce que tu trouves sur les maisons tout au long de la grand-rue. »
(à suivre... )