Dans la carrière (suite)

Les jours d'avant, ils ont repéré la veine où attaquer le bloc. Ange et Gino y sont allés avec la lance : ils ont balancé, pendant des heures et des heures, la lourde barre de fer suspendue à sa chaîne pour creuser la première tranche verticale. Au début, ça égratigne à peine la roche blonde mais, peu à peu, des griffures apparaissent, de petits éclats, des morsures, des scarifications. Le carrier pèse de tout son poids quand il balance la ferraille et des trous finissent par se former. L'expérience aidant, ils retrouvent à chaque fois leurs marques avec une étonnante précision qui entaille à peine plus large que les quatre centimètres de diamètre de l'engin. Il faut ça, pour creuser suffisamment profond, cent cinquante au moins, et finir par forer du haut en bas une impeccable tranchée. « Question de rythme, explique Ange, si tu es dans le bon tempo, tu sens moins l'effort. » Le vocabulaire musical pourrait paraître déplacé dans ce travail de force mais Ange faisait partie de la fanfare. Son service militaire, qui l'avait emmené à la guerre de Crimée et jusque devant Sébastopol, lui avait fait découvrir le piston, alors qu'avant de partir il en était encore à la trompette d'harmonie à coulisse.
Deux jours, ça leur a pris. Après ça, ils ont attaqué en vertical de l'autre côté du bloc puis creusé la tranche en plafond et perforé la tranche basse, le « four ». « A force, dit Gino, tu ne sens plus tes mains, tellement ça vibre. » Une semaine à se mesurer avec la pierre, à la harceler, avant d'y aller de sa petite chanson.

(à suivre...)