L'histoire de Georges, (3)

Papa se leva à cinq heures. Il prit de l'eau chaude sur la cuisinière et se mit en devoir de se raser. Il fit mousser le savon avec le blaireau puis mania avec précaution le coupe-chou sur sa joue. De temps en temps il l'affûtait sur le cuir. Pendant ce temps, je fis chauffer l'eau pour le café. C'est le bruit du moulin qui réveilla maman. Elle arriva en chemise de nuit et resta un instant silencieuse, à sourire, en entrant dans la cuisine.
Je n'avais pas faim : je mourais d'impatience.
Maman mit les gamelles dans les musettes. Elle ajouta le casse-croûte pour le huit heures. Elle vérifia encore mes habits. « Tu as pensé aux rustines et à la pompe à vélo ? » demanda mon père.
On se mit en route à moins vingt-cinq. « Regardez-la si elle est fière ! » blagua papa. Ma mère sourit : « Bien sûr que je suis fière de mes hommes ! » et elle m'embrassa, « Travaille bien ! »
On avala les dix bornes sans y penser. Il faisait bon à pédaler et, mis à part la petite montée au sortir de Saint-Leu pour grimper jusqu'au plateau, le trajet n'était pratiquement qu'une pente douce. C'est au retour que les mollets souffriraient… Les carrières étaient partout. On croisait d'autres vélos, « Salut ! », un geste de la main, parfois quelques mots qui se perdaient dans le vent. On fut vite à Cramoisy, le cimetière en contrebas, sur la droite, puis la grosse ferme. On s'arrêta : tout l'horizon était dégagé et papa pointa du doigt « Là-bas, derrière le petit bois », la carrière de Saint-Vaast. Au pied de l'église on fit encore une halte pour boire à la fontaine. La route tournait sur la droite, on enjamba le Thérain, on passa la voie ferrée qui menait à Beauvais puis on fut aux étangs de Maysel. Deux cents mètres plus loin, à l'entrée du bois de bouleaux, on descendit de bécane pour prendre avec tous les carriers le chemin jusqu'aux chantiers. « Va te présenter à l'embauche », me dit mon père.

(à suivre...)