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HISTOIRES DE VIES
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24 avril 2011

HISTOIRE DE GEORGES, BOMBARDEMENTS

 


Il avait fait un beau soleil toute la journée mais la consigne était de se protéger avec soin parce que, annonçait Radio-Londres, « Les corbeaux seront de sortie ce soir ». La nuit tomba vers les neuf heures et demie. J'étais endormi quand Dick me réveilla. Il ne tenait pas en place, il jappait de façon plaintive, on aurait dit qu'il pressentait quelque chose.
Sur les dix heures on perçut les premiers bourdonnements. Les gorges se firent sèches, les conversations cessèrent. Insensiblement, le cœur se mit à battre un peu plus fort, un peu plus vite. Mais quand le vrombissement se rapprocha, on comprit que ce soir-là serait plus terrible que les autres. On sentait que l'espace entier du ciel s'était empli de ces zincs meurtriers par quoi, pourtant, devait nous venir la délivrance. On entendit, dérisoires, les rafales de DCA, plus haut, dans les champs, et le sifflement suraigu des fusées éclairantes.
C'est sous les projecteurs que les Lancaster et les Halifax entamèrent leur sinistre besogne. Deux cent quarante-six bombardiers ! Il tombait tellement de bombes tout autour de nous que le sol tremblait. On scrutait, terrorisés, le ciel de la carrière et les piliers, craignant que la violence des percussions ne vienne à bout des parois. Avec ce qui tombait, des tonnes et des tonnes… On était là, haletants, incapables de fixer le regard et de réfléchir, le corps réagissait instinctivement, les muscles se crispaient tout seuls. Une onde de choc nous traversait le crâne, comme une aiguille qui vibrionne sous la peau.
Puis - s'était-il écoulé vingt minutes ou une heure ? De toute façon ça avait duré une éternité - un bref silence de quelques secondes et les explosions s'espacèrent. Le bruit des bombardiers s'éloigna. Et brusquement, avec sauvagerie dans le calme fragile qui prenait place, une déflagration assourdissante déchira l'entrée de la carrière. Sans doute une bombe à retardement. La violence du souffle culbuta cuisinière, casseroles, vaisselle dans un vacarme de fin du monde. Un long moment on resta hagard. Un nuage lourd de poussière avait envahi la galerie. On s'était relevé, calé le dos au mur.
Tout à coup, on entendit comme un murmure. Mes parents se taisaient, ma grand-mère aussi. Et le murmure enfla. Je ne sais en quelle langue cela grommelait mais le grondement enfla jusqu'à m'emplir les oreilles et tout l'espace sous le ciel, à s'insinuer dans les anfractuosités de la roche. Et alors il n'y eut plus rien dans la nuit que ces voix qui lançaient des Pater noster et des Ave Maria. Les femmes fermaient les yeux, les hommes regardaient fixement, droit devant eux. A un moment, les gens se prirent par la main tandis que les prières redoublaient. Mes parents aussi tendirent le bras et nous tous, que les malheurs de la guerre avaient réunis là pour nous en épargner de pires, nous étions seuls au monde. Comme si toute l'humanité se tenait là, entre nos mains, ceux qui priaient et ceux qui ne priaient pas.
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